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La peur

Jules Lermina

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Jules Lermina - La peurILe docteur posa son cigare sur la table et nous regarda en souriant, sans dire mot. Vous l'avez tous connu : c'était un homme de taille moyenne, au visage maigre et anguleux, aux cheveux noirs, à la parole cassante et saccadée.Il souriait rarement, étant homme de travail et de méditation : et lorsque ses lèvres se relevaient pour laisser apercevoir ses dents blanches et fines, c'est que le docteur sentait au fond du cœur un besoin féroce de raillerie.– Mieux vaut, lui dis-je, s'expliquer franchement. Quelle phrase de notre conversation a donc pu exciter ainsi votre dédain ?– Du dédain ! vous ne me connaissez guère. Le dédain touche au mépris et le travailleur ne méprise personne…– Mais encore ?– Je m'explique, ne voulant pas vous laisser sous cette fâcheuse impression. Voici : Depuis tantôt une heure, vos esprits, emportés dans le vague, s'égarent dans des théories absolument fausses… vous parlez fantastique, et vous croyez très ingénieux d'évoquer des fantômes couverts de linceuls d'un blanc plus ou moins douteux, des gnomes horribles, des lémures dont la Thessalie aurait honte. Assez de ces billevesées. Voyons, entre nous, s'il entrait ici quelqu'un de ces animaux ridicules et grotesques, vous ririez comme des fous, et c'est à qui le renverrait, aux coups de son propre balai, au prétendu Sabbat qu'il n'a jamais fréquenté…– Trêve de railleries, expliquez-vous…– Vous êtes pressés, messieurs ! Je vous disais donc que ce qui vous paraît fantastique, c'est-à-dire effrayant, est en réalité enfantin, banal et ridicule. Quel sentiment prétendez-vous exciter ? La peur ! Eh bien ! permettez-moi de vous le dire, ou vous n'êtes pas de bonne foi ou vous avez la conviction que rien de ce que vous racontez ne peut amener la terreur, sinon chez les enfants et les niais. Non, vous n'êtes pas de bonne foi. Vous vous surexcitez vous-mêmes, et vous vous forgez des chimères dont vous vous persuadez que vous devez avoir peur. Qui d'entre vous croit encore que les goules viennent la nuit sucer le sang des jeunes hommes, ou que les vudoklaks s'accroupissent la nuit au sein des jeunes filles ? Voyons, sans rire… là… personne. Or, je vous affirme, moi, que la peur est un sentiment éminemment naturel qui ne peut être excité que par des sentiments naturels. Il est dans l'ordre psychologique ou physiologique des phénomènes tellement étranges que sous leur influence l'organisme humain est ébranlé comme les harpes éoliennes dont parle Ossian. Tout l'être vibre à ce souffle qui vient on ne sait d'où… alors se développe en nous une vitalité de surexcitation dont l'effet n'est plus factice, comme dans ces cas où vous inventez des impossibilités… ici, le fait est tangible, le fait est patent… il y a eu énervement, c'est-à-dire doublement d'une des facultés-mères de notre o

Nombre de pages : 18

Date de publication :

Éditeur : Audiocité

Le studio Littérature

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