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Le père Amable

Guy de Maupassant

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Le père AmableLe ciel humide et gris semblait peser sur la vaste plaine brune. L'odeur de l'automne, odeur triste des terres nues et mouillées, des feuilles tombées, de l'herbe morte, rendait plus épais et plus lourd l'air stagnant du soir. Les paysans travaillaient encore, épars dans les champs, en attendant l'heure de l'Angélus qui les rappellerait aux fermes dont on apercevait, çà et là, les toits de chaume à travers les branches des arbres dépouillés qui garantissaient contre le vent les clos de pommiers.Au bord d'un chemin, sur un tas de hardes, un tout petit enfant, assis les jambes ouvertes, jouait avec une pomme de terre qu'il laissait parfois tomber dans sa robe, tandis que cinq femmes, courbées et la croupe en l'air, piquaient des brins de colza dans la plaine voisine. D'un mouvement leste et continu, tout le long du grand bourrelet de terre que la charrue venait de retourner, elles enfonçaient une pointe de bois, puis jetaient aussitôt dans ce trou la plante un peu flétrie déjà qui s'affaissait sur le côté . puis elles recouvraient la racine et continuaient leur travail.Un homme qui passait, un fouet à la main et les pieds dans des sabots, s'arrêta près de l'enfant, le prit et l'embrassa. Alors une des femmes se redressa et vint à lui. C'était une grande fille rouge, large du flanc, de la taille et des épaules, une haute femelle normande, aux cheveux jaunes, au teint de sang.Elle dit, d'une voix résolue :- Te v'là, Césaire, eh ben ?L'homme, un garçon maigre à l'air triste, murmura :- Eh ben, rien de rien, toujou d' même !- I ne veut pas ?- I ne veut pas.- Qué que tu vas faire ?- J' sais ti ?- Va-t'en vé l' curé.- J' veux ben.- Vas-y à c't' heure.- J' veux ben.Et ils se regardèrent. Il tenait toujours l'enfant dans ses bras. Il l'embrassa de nouveau et le remit sur les hardes des femmes.À l'horizon, entre deux fermes, on apercevait une charrue que traînait un cheval et que poussait un homme. Ils passaient tout doucement, la bête, l'instrument et le laboureur, sur le ciel terne du soir.La femme reprit :- Alors, qué qu'i dit, ton pé ?- I dit qu'i n' veut point.- Pourquoi ça qu'i ne veut point ?Le garçon montra d'un geste l'enfant qu'il venait de remettre à terre, puis d'un regard il indiqua l'homme qui poussait la charrue, là-bas.Et il prononça : «Parce que c'est à li, ton éfant.»La fille haussa les épaules, et d'un ton colère : «Pardi, tout l' monde le sait ben, qu' c'est à Victor. Et pi après ? j'ai fauté ! j' suis-ti la seule ? Ma mé aussi avait fauté, avant mé, et pi la tienne itou, avant d'épouser ton pé ! Qui ça qui n'a point fauté dans l' pays ? J'ai fauté avec Victor, vu qu'i m'a prise dans la grange comme j' dormais, ça, c'est vrai . et pi j'ai r' fauté que je n' dormais point. J' l'aurais épousé pour sûr, n'eût-il point été un serviteur. J' suis

Nombre de pages : 22

Date de publication :

Éditeur : Audiocité

Le studio Littérature

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