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Une Canaille

Georges Courteline

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UNE CANAILLEÀ Robert de Villehervé.Quand le chroniqueur Lavernié eut expliqué que son ex-ami Laurianne le traitait couramment de canaille à cause d’un service que lui, Lavernié, avait dernièrement rendu audit Laurianne, il y en eut qui s’étonnèrent, d’autres qui hochèrent la tête, d’un air fixé et entendu de gens blasés sur les surprises de l’existence et que ses petites vilenies n’en sont plus à faire rêver.— Il y a service et service, déclara cependant Christian Lestenet, il ne s’agit que de s’entendre.— Oh ! c’est bien simple, dit très sérieusement Lavernié, j’ai couché avec une maîtresse à lui.Lestenet éclata de rire et appliqua une claque sonore sur la cuisse du journaliste en le traitant d’aimable farceur . mais le poète Georges Lahrier, qui était philosophe à ses moments perdus, dit simplement :— Eh ! ne blaguons pas sans savoir ! D’abord, c’est toujours l’obliger que débarrasser un ami d’une femme qui l’avait trompé. Voilà déjà qui tombe sous le sens.— Parbleu ! exclama Lavernié, et puis enfin, si je l’ai fait, c’est parce que l’ami lui-même m’avait engagé à le faire. Oh ! mon cas est assez spécial, mais il n’a en soi rien d’extraordinaire, étant basé sur l’éternelle niaiserie humaine et ce besoin de forfanterie qui est la première manifestation de la bêtise, comme l’instinct de la conservation est la première manifestation de l’intelligence. Avez-vous un quart d’heure à perdre ? L’histoire vaut assez la peine d’être écoutée et il y a profit à tirer de la morale qui s’en dégage.— Bah ! dit Fabrice, un quart d’heure ! on peut toujours risquer cela !— D’autant, répliqua le jeune homme, que vous en serez quittes pour m’enlever la parole si cette histoire vous embête, comme celle du petit navire qui n’avait jamais navigué.Et ayant fait revenir un plateau de bocks mousseux, en prévision d’une narration un peu longue, Lavernié parla comme suit :Il y avait plus de dix ans que nous nous tutoyions, quand nous avons cessé de nous voir, Laurianne et moi, il y a six mois de cela.Je l’avais connu au Quartier, à l’époque où je faisais mon droit. Ce n’était certes pas un aigle, mais c’était un bon garçon, en sorte qu’il m’avait plu tout de suite et que je continuai à le voir assidûment, une fois les études terminées. Laurianne m’aimait beaucoup aussi et c’était rare qu’il laissât s’écouler la semaine sans donner un coup de pied jusqu’au journal, en sortant de son ministère, comme dans la chanson du Brésilien. Il arrivait, prenait une chaise, et dévorait silencieusement les journaux, s’interrompant de temps en temps pour jeter un coup d’œil furtif sur ma copie, ou pour compter des yeux la quantité de feuilles noircies alignées devant moi, côte à côte. Timide, de cette timidité puérile des gens qui se savent un peu bornés et se sentent dans un milieu qui n’est pas le leur, il était sage comme une petite fille, parlait tout bas, comme dans une église, et reniflait pe

Nombre de pages : 17

Date de publication :

Éditeur : Audiocité

Le studio Littérature

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